ted | les mains qui brûlent

chère paula,
après avoir lu ces lignes, ma chère paula, je te prierai de bien vouloir brûler les feuillets. de ne pas en parler, ni même d’y penser. je déverse ces quelques mots ici car je veux que tu saches que je sais. je veux que tu saches que j’ai enfin compris. je veux que tu saches que je sais ce qui peut advenir de tout ça. je veux que tu saches que je suis comme toi.
ce que j’avais vu lorsque j’étais enfant à port isabel, était bien vrai.

tu te rappelles ? je t’avais vu rentrer à la maison les mains et les vêtements tout imbibés d’un rouge vif. quelques parcelles de ton tablier étaient plus foncées que d’autres. tes mains dégoulinaient. tu en avais sur le front et sur tes chaussures. lorsque tu marchais, tu laissais des traces. nous pouvions te suivre à la trace, ma petite paula. à croire que tu avais dû faire de la belle peinture. mais ce n’était pas ça. c’était plus grave. et à m’en rappeler plus distinctement, il m’avait semblé distinguer des traces de mains sur ton tablier. comme si quelqu'un avait voulu te pousser. et puis, je me souviens aussi de ton visage. il semblait terrifié. dégoûté. des larmes coulaient sur tes joues. tu tremblais. tu était livide. perdue. paniquée.

avec le temps, l’image s’est éclaircie dans ma tête. elle est devenue plus nette. lorsque tout ceci s’est passé, j’avais huit ans. je crois m’être repassé le film jusqu’à ce que j’entre au fbi. essayant tant bien que mal de constituer le puzzle d’images qui grouillait dans mon esprit. l’âge et la maturité m’ont aussi peut-être aidée. et lorsque je suis entrée au fbi, la première chose que j’ai faite a été d’enquêter. enquêter sur cet épisode pour combler un questionnement qui me taraudait depuis toujours. pour répondre à une incertitude que j’avais sur mon compte.
non, chère paula. je ne t’en veux pas. en fait, je pense que cela aurait pu m’arriver. je pense être capable de faire pareil. j'ai ce feu en moi qui se réveille parfois. comme si j'étais capable du pire, moi aussi. mais je ne suis jamais passée à l'acte. toi ? tu as assassiné ce pauvre monsieur baxter dans sa ferme.

je te revois me demander de rester tranquille dans ma chambre pendant que tu partais chercher du lait pour le goûter. mais tu n’es jamais revenue avec le bidon de lait. tu es revenue couverte de sang car tu as saigné ce pauvre monsieur baxter dans son étable. ton mobile ? machiavélique. tu n’en avais pas vraiment. une pulsion ? un fantasme ? que sais-je encore. lorsque tu es rentrée à la maison, tu t’es dépêchée de te nettoyer. de jeter au feu tes vêtements. de nettoyer chaque coin sur lequel tu étais passée dégoulinante à coup de javel et autre solvant. tu m’as demandé de rester sage dans ma chambre jusqu’à ce que papa et maman rentrent. je n’ai pas fermé la porte. je t’observais. tu as fait tes valises et je ne t’ai plus revue. je n’ai plus entendu parlé de toi. jusqu’à aujourd’hui.

je t’ai retrouvée. monsieur baxter n’a pas été le seul. il y eut plusieurs hommes dans l’état du texas, retrouvés nus et égorgés par arme blanche. sans doute un couteau de cuisine disent les rapports. ceux qui t’ont traquée parlent d’une paralysie sentimentale qui aurait pu tout déclencher. un défaut d’amour. un défaut de sentiment. on ne t’a pas aimé comme tu aurais voulue. tu as toujours été rejetée par les hommes. de tout temps. après un énième échec sentimental, tu as voulu te venger. et cette dévotion au meurtre d’hommes séduisants et trop sûrs d’eux t’aura hantée pendant des années.

chère paula, ce que je veux te dire aujourd’hui est la suivante. oui. grâce ou à cause de toi, je suis comme toi. je crois. je ne suis jamais passée à l’acte. cependant, les hommes sont comme des bonbons. je les regarde. je les admire. je les lèche un peu pour en goûter le parfum. j’en croque un morceau. et j’avale le reste sans pitié. j’aime leur faire mal. j’aime être borderline. j’aime cette frontière ténue entre l’acceptable et l’indécence. j’aime ce jeu dangereux qui peut me faire vaciller. je crois que je te comprends en un sens. je crois que j’ai compris ta psychologie. cependant, aujourd’hui, je suis du côté de la loi. je vis ces crimes passionnels par procuration. je ne peux pas vaciller. il faut que je garde la tête froide. que je me comporte comme une personne normale. mais mon côté sombre peut surgir à tout moment. tu es la seule que je mets dans la confidence. pour que tu saches que ton influence s'est propagé en moi. que je sais d'où viennent mes fantasmes et mes cauchemars aussi.
adieu paula,

ted.
le 18 février 2020, springwood.

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paula jenkins, connue aussi come "la faucheuse de port isabel" s'est pendue dans sa cellule. l'autopsie révéla un suicide par pendaison. il semblerait que la détenue se soit laisser pendre par ses draps, qu'elle noua autour d'une barre horizontale fixée au-dessus d'une petite fenêtre. l'autopsie a également trouvé des morceaux de papier mâchés dans l'estomac. impossible, à l'heure actuelle, de déduire quoi que ce soit sur leur provenance..