aimee + take me to church

depuis combien de temps vivez-vous à springwood ?
Depuis toujours, dans la même grande maison blanche aux volets bleu ciel et fenêtres bien quadrillées. Dans le jardin, j'ai fait mes premiers pas. Parcouru toutes les rues de ce patelin à vélo. Entendu toutes les rumeurs, sournoisement espionné tous ces gens. foutu mon chewing-gum dans la boîte aux lettres de la voisine. renfermée dans le cagibi, où l'on me forçait à réciter les derniers versets. l'encens qui a incendié les cheveux de kate. jamais embrassé de garçon sous le cerisier de la mairie, et ce sera toujours hors de question. springwood comme un bocal où tous les insectes se débattent. je n'échappe pas à la règle, je survis, j'essaie.

avez-vous entendu parler des étranges histoires que l'on raconte en ville sur le tueur de crystal lake, du tueur en série d'haddonfield ou encore du tueur pédophile mort brûlé dans les années 80 ?
un jour, je suis rentrée de l'école. grand silence dans la maison. je monte les escaliers, pas lent comme pour essayer de ne faire grincer aucune marche. c'était le cas. je retrouve mon père dans son bureau. bise délicate sur la joue, usuellement. papa, c'est qui freddy ? gifle ingrate sur la joue. plus jamais, tu ne parleras de ces choses là, ici. il n'existe pas, ce sont des bêtises de la télévision. mais toi, tu ne regardes pas ça. n'est-ce pas ? hein, mon ange ? on ne parle pas des choses qui n'existent pas.

de quoi avez-vous peur ? commencez-vous à faire d'horribles cauchemars ?
hydrophobie, ô océans perfides, et lacs pernicieux, je les vois. eux, leurs flots, leurs vagues qui viennent écraser mon petit crâne sur le rocher et tous les os qui éclatent au vent. peur tenace de l'eau depuis que j'ai failli me noyer, à onze ans. lors de vacances en france, voir tata jeanne. plouf, le flou, le noir. et mes nuits se transforment lentement en dépravation de poséidon. depuis quelques jours, les cauchemars envahissent les insomnies, et ça devient terrible, insurmontable, insupportable. on dit de prier, mais le ciel fait nuit noire, aucun ange n'écoute les plaintes de l'éclipse.

a toujours vécu à springwood + a deux chiens max & lulu, des bergers australiens qu'elle a depuis ses quatre ans; elle a pour seul plaisir de les promener. + a deux soeurs, plus âgées kate & eve. kate est muette. eve est rebelle. + son livre préféré, c'est lolita qu'elle cache précautionneusement sous son matelas déchiré + elle adore faire du vélo, elle se balade dans le quartier, carnet et jumelles au fond du sac. une fois installée, elle observe, rédige, elle aime se montrer juge. troisième oeil de cette ville sclérosée + à onze ans, lors des vacances d'été à l'hérault pour visiter tata jeanne, aimee a failli se noyer lors d'une baignade improvisée. piqûre de vive, malaise. trou noir. une faible lumière loin dans l'horizon de sa tête. évidemment, quand elle a raconté cela, les rhodes ont crié: jardin d'eden, miracle, et paradis pour humbles mortels qu'ils étaient. aimee, en est, elle, traumatisée. revivant cette scène avec cette impression terrible de suffoquer. cause de ses pires cauchemars. elle se souvient de son corps allongé sur les cailloux humides, et ses spasmes, sa bouche en feu, les yeux qui convulsent frénétiquement. un démon dans son corps qui cherche à la buter. a-t-elle vendu son âme pour survivre ? elle ne le sait plus... + au lycée, un professeur lui avait fait de perverses avances. aimee n'était guère un cas isolé, et une fois, le coupable avéré, elle a dû témoigner au tribunal. ses parents semblaient couverts d'une honte dont elle n'était pourtant pas responsable. d'autant plus, qu'aimee avait su échapper à ce traquenard. pendant quinze jours, ils l'ont enfermé dans sa chambre, lui servant parfois du pain rassis et une carafe d'eau. c'est ainsi qu'on punit ici. + eve a toujours été du genre révolutionnaire, désobéir lui offrait une jouissance incomparable. toujours châtiée, et battue devant ses cadettes pour l'exemple, aimee ne supporte pas qu'on s'approche, qu'on la touche. cela lui rappelle bien trop souvent les coups qu'on lui portait au visage, et les injures dont on osait la bafouer. + élève médiocre, elle n'a toujours qu'appréciée la littérature. cela ne préoccupe guère sa famille, qui considère les études avec mépris. cela leur offrirait une trop grande émancipation. elle angoisse terriblement pour cette fin d'année qui nécessitera un choix de sa part. on lui a toujours appris à être une petite fille sage. elle ne sait faire que ça. + la directrice du lycée, habituée aux comportements inappropriés des rhodes, fait suivre aimee des rendez-vous secrets avec un psychologue. elle voit bien que les parents sont aveugles face à leur détresse. tous les mois, elle doit donc se rendre chez un psychologue pour y confier son quotidien. + mais ses parents sont aimants, ils la chérissent, oui, la petite dernière. c'est même par ses caprices, qu'ils lui ont cédé d'obtenir max & lulu. + elle ne porte quasiment jamais de pantalon. toujours les mêmes jupes plissées, ou les robes à motif floral. surplombée de sa queue de cheval. jamais maquillée, le regard toujours absent. + cela fait quelques mois maintenant que les cauchemars viennent tourmenter sa vie. pourtant, elle n'ose parler du trouble de peur qu'on la dise hérétique, ou menteuse. elle cherche à masquer les débuts de griffures qu'il lui reste de ses mauvais songes. mais kate a bien entendu les cris de frayeur qu'elle pousse à trois heures du matin. le secret ne saurait tenir trop longtemps. + habituée
à la politique conservatrice de ses parents, elle n'a pas appris à se forger une opinion. les bouquins sont une aide, mais sos l'emprise familiale, aimee ne sait pas ce qu'elle pense vraiment de sa situation. sont-ils aussi fous que la norme les revendique ? ou leur singularité sera-t-elle leur salut ?