wake me up (beth)

monsieur hallaway, il avait la fâcheuse manie de parler avec une telle passion de sujets si peu intéressants, que s'endormir à chacune de ses classes n'était pas anodin. et beth, cancre parmi tant d'autres, qui a abandonné tout espoir d'un avenir prometteur, faisait partie de ces élèves qui se laissaient bercée par sa voix, pour finir dans un songe comme les autres. sa montre, dieu qu'elle l'avait zieutée, beth. d'un air las, et le temps était trop lent pour elle. il s'écoulait si lentement, qu'elle avait l'impression de faire des retours en arrière. ça ne l'intéressait juste pas. elle aurait pu faire un effort ; ce n'était pas qu'elle n'en avait pas le courage, mais l'envie n'était pas au rendez-vous. c'est un soupire silencieux que ses lèvres laissèrent échapper, un regard fuyant et vagabondant, examinant le paysage inscrit derrière les carreaux de la fenêtre, mais rien ne semblait suffisant pour occuper son esprit, et faire passer ces deux heures plus rapidement. elle se sentait même piquer du nez, étonnement. ne fallait-il pas qu'elle dorme ? elle la voyait souvent, elle. elle le voyait souvent, lui. un visage à vous foutre les pétoches, un visage qu'elle ne tarda pas aussitôt à apprivoiser. ce ne fut l'histoire que de quelques secondes, elle qui pourtant avait pensé rester éveillée. mais lorsque son regard balaya de nouveau la pièce, elle était toute seule. enfin, presque. et c'est un cri de douleur qui déchira sa douce peau ivoire, l'extirpa de ses terreurs. tout semblait revenir. les élèves, et puis le prof. elle ne chercha pas à rester plus longtemps. elle ne voulait pas rester plus longtemps ici. soudainement, elle se sentait suffoquer. l'air lui manquait ; crise de panique ? sûrement, comme elle le fait à chaque fois qu'elle se réveille. comme elle le fait à chacun de leurs rencontres. elle se levait alors, quittait la salle sans même un dernier regard. elle s'en fichait bien, des conséquences. la peur faisait battre son cœur à tout rompre, si fort qu'elle en avait envie de vomir. ses pas se firent moins hâtifs au fil des mètres qu'elle avait dévalés, et elle s'adossa à son casier, refuge vers lequel, inconsciemment, ses pieds l'avaient portée. à bout de souffle, c'était le cas. ses paupières fermées ne purent l'alerter quant à la présence d'une autre personne, là, à ses côtés. si bien qu'elle en fit presque un bond, alors qu'elle la touchait. « ça va...? » une première question à laquelle elle ne prit pas la peine de répondre. elle avait l'habitude, de toute façon. de l'ignorer, elle qui pourtant avait toujours tenté de l'approcher. elle, avec qui elle avait pourtant déjà été proche une fois. les choses avaient changé, il y a bien longtemps de cela maintenant. il était dur de quitter les habitudes qui s'étaient installées petit à petit. si dur. et pourtant, la peine bien présente. autant dans les yeux d'aimee, que dans ceux de beth.  « tu ne devrais pas rester toute seule. » doucement, elle détachait son bras de la poigne qu'elle exerçait, et son visage vint remuer de gauche à droite, d'un geste aussi doux mais terrifié, alors que pour la première fois, depuis longtemps, elle lui adressait la parole de nouveau. « tu ne peux pas comprendre. je n'ai pas le choix. » elle annonçait, là, comme une bombe. peut-être demeurait encore t-elle froide, mais la peur se mélangeait au mépris habituel de sa voix, si bien qu'elle n'arrivait même pas à la camoufler, la pauvre petite. elle était encore, dans le fond, terrorisée. l'acier froid, elle le sentait encore. celui qui avait déchiré sa peau, celui qui faisait couler son propre sang.

ses griffes d'acier continuent de jeter un froid sur la peau dévoilée de la jeune fille. un frisson continuel parcourt le long de sa colonne vertébrale ; mais est-ce réellement ce froid, ou bien la vision de cet instrument de cauchemar qui lui provoque une telle réaction ? la peur demeure pourtant bien présente, elle le sait et elle le sent, au plus profond d'elle. ses tripes, qui se tordent constamment dans tous les sens comme on tord une éponge, ces tremblements, parfois et souvent, lorsqu'elle se réveille en sueur la nuit. il lui faisait de l'effet, le monstre, le croque-mitaine. un effet qu'elle aurait bien évité, des images qu'elle n'aurait pas voulu voir. comment lui expliquer tout ça, à aimee ? elle la prendrait pour une folle. comment peut-on rêver de quelqu'un capable de nous blesser dans la vraie vie aussi ? les preuves étaient pourtant bien présentes, mais cette blessure était-elle réellement dû au dernier cauchemar qu'elle avait effectué, quelques minutes plus tôt, dans cette étouffante salle de classe ? elle ne dormait plus très bien, si bien qu'elle aurait pu se blesser ailleurs, autrement. chercher une logique, dans cette situation, était un véritable casse-tête, qui lui donnait un sacré mal de crâne. difficile de croire à tout ça, pas vrai ? faiblement, elle lui disait qu'elle ne pouvait pas comprendre, énième tentative pour la repousser. non, elle ne pouvait pas comprendre. comment le pourrait-elle ? mais beth était fatiguée, tellement fatiguée. « alors explique-moi. » lui demandait la blondinette. si elle le pouvait, elle la supplierait probablement de lui parler. encore et encore, après des années de silence. peut-être que ce serait une bonne chose, après tout. peut-être qu'elle pouvait tout laisser tomber. cette carapace, qu'elle s'était forgée au fil du temps. cette haine injustifiée envers tout et tout le monde. envers sa famille, envers ces paysages, envers ses amis. envers aimee. elle semblait hésiter, beth. difficile de perdre les habitudes qui s'étaient installées, difficile de briser aussi facilement cette barrière qui avait fini par s'imposer. « on a toujours le choix, beth. je ne suis pas certaine de pouvoir comprendre. mais je peux essayer, non ? » aimee, qui au fond avait toujours été là. et surtout maintenant, après de longues années à l'ignorer, elle était encore là. à ses côtés, à se tenir prête à l'écouter, quelque soit les paroles qui allaient sortir de sa bouche. elle était stupide beth. peut-être. mais chacun gérait le deuil à sa façon, allons-nous dire. elle hésitait encore. elle savait même pas si elle allait y arriver. mais au moins, elle allait quand même essayer. elle jetait des regards autour d'elle, et malgré le bruit de fond, lointain, des salles de classe, elle ne se sentait pas en sécurité, ici, à parler en plein milieu du couloir. « tu serais prête à sécher ? » elle semblait proposer. elle voulait pas le faire ici. « mes parents ne sont pas à la maison. »

« on y va ? » à dire vrai, la gamine ne pensait pas que la blonde, qu'elle associait à tant de souvenirs, accepte aussi facilement. les mésaventures qu'elles ont eues, et le silence pesant que beth a daigné donner à son entourage avait pourtant creusé à fossé si énorme qu'elle ne pensait pas qu'aimee participe de nouveau à des bêtises pareilles, non sans contester. d'un côté, ce fut un soulagement. ce fut rassurant, mais elle se rendit aussi compte qu'elle ne la méritait pas. qu'elle ne méritait pas autant de gentillesse de sa part. qu'elle n'était, en fait, qu'une sombre merde. mais ce n'était pas un sujet sur lequel elle attarda ses songes. un sourire, juste un petit. c'est ce que ses lèvres se permirent. un sourire satisfait, surtout, mais un sourire qui s'évanouit aussi tôt alors que les souvenirs frappaient de nouveau son esprit. elles se redressent et s'extirpent de la froideur des casiers. d'un pas hâtif, le parking de l'école. « t'as le tien ? monte sur le mien sinon. attend - tu - » son visage vint doucement se secouer de droite à gauche, puis elle vint aplatir une main, tout en grimaçant, sur la plaie qui avait attiré le regard d'aimee. un plaie sur laquelle elle venait d'éponger le sang, à vif, à l'aide d'un mouchoir. « tu saignes. on pansera ça chez toi. » ses sourcils se froncèrent légèrement. elle ne voulait pas faire de cette marque, de cette énième marque, tout un fromage. « non, ça ira. » elle refusait, avant de monter derrière aimee. son vélo, ça faisait des années qu'elle n'y avait plus touché. elle se rendait au lycée à l'aide de ses deux jambes, tout simplement. même si cela lui coûtait de précieuses minutes. « allons-y. » elle annonça. elle tourna sa tête derrière elle, guettant. personne ne semblait les avoir vues se faufiler hors du lycée. personne, sauf une étrange ombre qu'elle semblait reconnaître. cette ombre, le croque-mitaine. ombre qu'elle laissa derrière elle alors qu'aimee démarra. quinze minutes plus tard, la pelouse des king pointa le bout de son nez. pelouse parfaitement tondue, évidemment. beth n'attendit pas plus longtemps avant de sauter du vélo et de se hâter à la porte d'entrée. elle y glissa sa clé avant de tourner la serrure, et de s'engouffrer à l'intérieur de la maison. de cette maison, devenue si sinistre depuis qu'elle était partie. elle laissa aimee en faire de même, et beth jeta un œil à l'horloge. jus d'orange et madeleines, qu'elle attrapa d'un geste habituel à la cuisine, et elle s'empressa de monter les escaliers pour rejoindre sa chambre, invitant d'un geste de tête silencieux la blonde à la suivre. la lumière fusait encore moins, ici, dans cette pièce. par respect, elle daigna malgré tout ouvrir d'avantage ses stores, afin de faire entrer les rayons du soleil, et jeter la bouteille de jus et le sac de madeleines sur son lit avant de s'y installer, après avoir pris soin de retirer ses baskets. « je ne sais même pas par où commencer. » elle avouait. et ce n'était pas faux. elle jeta un bref regard à aimee. allait-elle la prendre pour une folle ? sûrement. très sûrement, même. « saches que quoique je te dise, c'est la pure vérité. et promets-moi que tu ne me riras pas au nez. » l'hésitation, encore là. besoin d'être rassurée, aussi. ce n'était pas facile. et elle était loin d'imaginer que ce n'était pas facile pour aimee non plus.

Oisillon blessé, qui sort de sa coquille pour la toute première fois. C'était probablement ce à quoi Beth devait ressembler actuellement. L'instant, il se fige. Le temps, il s'arrête. Plongée dans une atmosphère entremêlant la vie et la mort, dans cette maison qui lui semble être un énième cauchemar. Les cernes, elles sont bien présentes ; elles aussi. Toujours, constamment et continuellement. Le repos n'est pas un luxe qu'elle peut se permettre. Étrangement, elle le remarque ; comme des poches ses yeux ; elle aussi, elle dort mal. Il n'est pas difficile de le deviner. Mais, pour quelqu'un qui avait fermé les paupières sur tout ce qui se passait autour d'elle ; là, en cet instant, elle le voyait. Elle le voyait enfin. Elle rouvrait les yeux sur un lien si familier et si lointain qu'elle avait elle-même renié, et pour la première fois depuis longtemps, elle la voyait. Évidemment, les traits de son visage avait changé ; mûris. L'innocence semblait persister au fond de ses yeux, qui semblaient pourtant moins pétiller qu'autrefois. La vie meurtrit, déchire ; elle n'était pas la seule à vivre de sales moments. Les yeux dans les yeux, c'était dur. Dure réalité qui la rattrapait et la giflait sur chacune de ses joues. Quelle idiote tu as pu être, Beth. Mais ça arrive, pas vrai ? Tout le monde fait des erreurs, n'est-ce pas ? Saura-t-elle au moins réparer les siennes un jour ? Seul le temps pourra le lui dire.

Et étrangement, elle peut sentir qu'elle a confiance ; malgré l'hésitation constante. Elle le sait, même. Aimee est, d'ailleurs, probablement la seule personne qui reste digne de ses confessions. L'inquiétude ronge son regard, lorsqu'elle lui fait promettre de ne pas se moquer d'elle. Un moyen de la rassurer, sûrement, Beth. Elle si perdue dans un amas de songes qui ne sont plus réellement les siens, terrifiée par le monstre, par la silhouette, par l'ombre qui la pourchasse chaque nuit. « je te crois, c'est promis. je me doute bien que tu ne me ramènerais pas ici si ce n'était pas important. » Bien sûr, qu'elle s'en doute. Bien sûr. Et alors, son cœur de jeune fille se serre douloureusement, ses yeux se baissent comme si une honte immense la submergeait. Elle affronte, malgré ses craintes, encore une fois des souvenirs dont elle se passerait bien, aujourd'hui. Elle se réveille, en sueur. Elle se revoit parfois blessée, comme la dernière entaille qui demeure sur son frêle corps. Instinctivement, elle porte même une main à celle-ci. Et elle raconte, comme elle le peut. Avec ses mots. « Je ne peux plus dormir. Chaque fois que je ferme les yeux, je le vois.» Elle déglutit, difficilement. « Est-ce que tu crois au croque-mitaine, Aimee ? » Parce-qu'elle, oui. « Chapeau, et griffes d'acier. C'est lui, qui m'a fait ça. » Elle retire sa main, cette fois-ci, laissant retrouver l'air à la blessure qu'elle porte. « Je sais que ça va te paraître fou. Mais c'est lui, qui m'a fait ça. Je te le jure. » Ses derniers mots, ils sonnent comme une plainte. Qu'elle est perdue, Beth.