don't lose your grip on the dreams of the past ▪ ft. lilie ♥

musique de fond, années quatre-vingt à coups sûrs. odeur de transpiration, et balles qui tapaient contre les raquettes. le cours de sport n'a jamais été le favoris de beth. bouger, c'était pas trop son dada. et elle n'aimait pas passer par la case vestiaire. chaque fois qu'elle se déshabillait pour enfiler sa tenue de sport, elle se sentait gênée. bien trop gênée. malêtre enfoui en elle depuis bien des années, elle n'arrivait pas à le supporter. elle n'arrivait pas à s'accepter, ni à s'assumer aux autres. elle n'était pas du genre à garder un masque, faire croire que tout va bien et arborer une fausse confiance en elle. en fait, elle n'en avait même pas la capacité. le courage lui manquait, l'envie n'était pas là, et sa dépression la tirait constamment vers le bas. la professeure, elle, était infecte. c'était le genre qu'on n'osait pas défier, sauf les plus audacieux. beth, elle, elle avait tendance à baisser les yeux, à lui répondre oui, à faire ce qu'elle lui demandait de faire sans broncher. c'était pénible, deux heures enfermées dans l'immense salle qu'était le gymnase. l'odeur attaquait constamment ses narines et semblait prendre de plus en plus d'ampleur au fil des semaines. les toilettes étaient, aussi, inutilisables. à croire que le ménage n'était jamais fait, ici. eye of the tiger, survivor. la professeure, elle était vieux jeu. ça se voyait à son look vestimentaire, constamment habillée d'une tenue de sport - beth ne l'avait, par ailleurs, jamais vu habillée autrement - et à sa coiffure qu'elle n'avait pas changé depuis au moins une bonne vingtaine d'années. ses rides trahissaient l'âge qu'elle essayait de camoufler en vain derrière un mauvais fond de teint bien trop foncé pour sa carnation. mais jamais, ô grand jamais personne n'a dû lui faire remarquer. elle était intimidante, mine de rien, ms fowley.

ces deux heures de sport s'entamèrent tout d'abord par quelques exercices. courir un peu autour du gymnase une dizaine de minutes jusqu'à en perdre haleine, puis quelques étirements, de quoi chauffer et préparer son corps avant de passer aux réelles activités. beth, elle se retrouva bien vite essoufflée. elle n'était pas une grande sportive. ce n'était même pas un souci qui la tracassait réellement, de toute façon, lorsqu'il y avait sport. non, ce qui commençait à la rendre plutôt nerveuse, c'était le regroupement qui se faisait autour du coach, qui allait lâcher les duos pour cette séance. et dieu qu'il y avait des personnes avec lesquelles beth ne voulait pas faire équipe. elle aurait bien apprécié qu'on la désigne avec aimee, mais malheureusement, ce ne fut pas le cas. non, c'était pire. ses craintes, elle les avait. et elles étaient justifiées. « beth, avec lilie. » elle annonçait de sa voix stricte. la première nominée jeta un regard sur la foule de lycéens, cherchant sa partenaire. un regard d'agneau, angoissé.

Beth, la recluse, celle qui était à l'écart. La paria, celle qu'on ne regardait pas. La loser, celle que l'on n'estimait pas. Elle, Beth, c'était celle qui demeurait au fond de la classe. Qui ne décrochait pas le moindre mot. Celle qui essayait de se faire petite, en vain. Malheureusement pour elle. Tragédie qui l'a affectée bien jeune, elle grandit introvertie, réservée ; solitaire. Une cible facile, parce-qu'on ne la comprenait pas. Ou peut-être parce-que, justement, on la comprenait. Et puis elle ? Elle ne se défendait pas. A quoi bon, de toute façon. La douleur était devenu un quotidien qu'il fallait supporter constamment et, lorsqu'on n'a pas l'habitude de parler de ce qui ne va pas à ses proches, on ne voit pas pourquoi là, maintenant, il faudrait s'ouvrir au monde qui nous entoure. Les problèmes, tout le monde en avant, de toute façon. Et Beth, elle, était focalisée sur les siens. Elle ne se souciait même plus des autres ; elle n'en avait plus l'envie, et encore moins l'énergie à vrai dire. La mort d'Abigail avait tout brisé chez cette petite fille d'avenir. La mort d'Abigail avait privé sa cadette des grandes choses que la vie avait pu lui réserver.

Mais ce n'est pas grave. A dire vrai, toutes ces années à sombrer dans un cycle infernal ; ce cycle infernal qu'était sa dépression ; on finit alors par s'y faire. Par accepter certaines choses. Peut-être était-ce une question de volonté. Peut-être était-ce une question de porter secours à une jeune fille au bord des ténèbres. Mais cette aide, elle ne vint pas, et elle ne viendra probablement jamais. Livrée à elle-même dans un monde où on s'amuse à la piétiner de tous les côtés. Lilie, c'était un de ses tyrans. Probablement la pire, d'ailleurs. Lilie, cette blonde, elle aurait pu l'admirer. A vrai dire, avant même qu'elle ne cherche à faire de sa vie un enfer, elle l'avait admirée. Sauf que l'acharnement dont la poupée avait su faire preuve à l'égard de sa propre âme n'avait su qu'inverser les ressentis qu'elle éprouvait envers cette inconnue. Inconnue que, pourtant, le reste mate ; des étoiles dans les yeux. Était-elle si extraordinaire ? Elle semblait parfaite. Une parfaite petite peste. Sauf que personne, ô combien personne, n'osait le lui dire. N'osait la confronter. N'osait la contredire. Alors, elle se permettait tout. Avec tout le monde. Et avec Beth aussi.

« Tu vas monter la première, King. et pas la peine de t’essayer à refuser, tu passes devant. » C'est un soupire, las, discret mais bien présent, représentant la lourdeur de paroles dont elle se serait bien passées. Elle ne dit rien, d'ailleurs ; obéir, au fond, c'était la seule chose qu'il valait mieux faire face à elle. Peut-être que son châtiment serait moins pire. Peut-être. Ça ne lui plaisait pas, pourtant. Non, elle n'était pas sportive. Et non, elle n'était pas très agile non plus, ni très douée d'ailleurs. « Allez, en piste, princesse. Montre donc ce que tu peux avec ces faibles bras que tu possèdes... » Une pique supplémentaire et pourtant reflétant une réalité qui sciait la jeune fille en deux. Lilie, elle avait raison ; Beth était bien maigrelette et la force qu'elle possédait était certainement moindre face à la blonde. Les yeux de la brune fixèrent un instant la corde qui se présentait sous son nez, presque hésitante. « Grimpe. » fut le seul mot qui parvint de nouveau à ses oreilles ; un mot qui sonnait de nouveau comme un ordre. Elle n'avait plus d'autre choix que de s'exécuter, et ses doigts s'enroulèrent autour de la matière tandis que ses pieds vinrent s'agripper au mur qui se présentait à elle. En fait, elle ne fit même pas un mètre, tant l'exercice était dur pour quelqu'un qui n'était pas de taille. Lilie, elle devait bien rire, là-bas, en bas. Ses frêles épaules peinaient à la porter, et elle glissa au moins deux fois en cinq minutes. Elle avait la vague impression de se faire humilier, que tous les regards étaient pointés sur sa faible performance ; une performance que, elle en était sûre, Lilie allait assurer d'avantage. Et c'est au bout d'un mètre de galère qu'elle s'arrêta, restant agrippée dans la même position que lorsqu'elle s'était stoppée. « J'en peux plus. » Elle murmura. Bien trop d'efforts pour elle. Elle avait l'impression que tout son corps allait lâcher dans le vide. Un vide qui la terrifiait.